Portrait du mois de décembre 2021

VINS DE VIENNE - Yves Cuilleron, Pierre Gaillard & François Villard


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Yves Cuilleron, François Villard, Pierre Gaillard. Trois bons copains. Trois vignerons qui ont décidé d’unir leurs forces pour faire renaître de ses cendres le terroir oublié de Seyssuel en créant une Maison de négoce en commun : Les Vins de Vienne.

Comme un trio musical, chacun joue sa partition tout en composant pour le groupe. Ils font des vins d’une grande précision parce que ce sont des vins discutés, débattus, commentés et finalement validés à trois. Et trois, ils en sont persuadés, c’est mieux que deux. A deux, si l’on est pas d’accord, cela peut vite bloquer et tourner à l’affrontement. Alors qu’à trois, on se frotte, on s’engueule, mais ça débouche toujours sur une décision mûrement réfléchie. « Quand on vinifiait, nous n’étions pas d’accord, mais nous avons lancé plein d’expérimentations enrichissantes sur la base de ces désaccords. Cela nous permet aujourd’hui de pouvoir raisonner sur la réalité des expériences en place plutôt que sur une idée toute faite ».

Retour en grâce

Trois amis de trente ans qui démarrent à l’orée des années 80 quand, dans le nord de la Vallée du Rhône, tout redémarre. On l’oublie parfois mais Côte-Rôtie ou Condrieu ont failli disparaître. Il restait 30 hectares du premier et 10 du second dans les années 60 ! La faute aux satanées pentes de ces coteaux qui dévalent sur le Rhône, à l’étroitesse des terrasses qu’il faut entretenir, au phylloxéra, au mildiou et à la grande guerre qui a volé tant de bras. Ici, pas le choix, tout se faisait à la main. Avec des prix de revient à en décourager plus d’un. Du coup, quand ils s’installent, la terre vaut des clopinettes. Pierre achète son premier terrain en Côte-Rôtie pour 1 franc le mètre carré, soit moins de 20 centimes d’euros !

Vignerons et négociants

Yves et Pierre ont accueilli François en stage. Il fait quelques vendanges avec eux, peaufine sa formation avant de s’installer à son tour. Les trois amis ont chacun leur propriété, élaborent leurs propres vins, mais décident de créer ensemble les Vins de Vienne en 1995. Avec deux idées derrière la tête : faire une petite Maison qualitative pour rester dans l’esprit vigneron et replanter un ancien vignoble disparu. Ce vignoble, c’est Seyssuel dont Pline l’Ancien ou Plutarque disaient le plus grand bien.

Pierre retrouve sa trace en fouinant dans une bibliothèque de Beaune où il tombe sur un bouquin du 17e siècle écrit par Olivier de Serres : « Théâtre d’agriculture et mesnage des champs ». Un vignoble très ancien, planté par les Romains il y a plus de 2 000 ans, face à Côte-Rôtie, sur les raides coteaux exposés sud-ouest de la rive gauche du Rhône. Pierre en parle à François qui en parle à Yves. « Nous nous sommes excités tous les trois en nous disant : est-ce que ce ne serait pas un terroir à replanter ? ».

Renaissance d’une appellation

Ils empruntent les fonds nécessaires à l’aventure. Se font éconduire par deux banques comme des malpropres avant de bénéficier des largesses de la BNP qui fusionne à l’époque avec Paribas et veut gonfler sa dote. Ils vont à la mairie, étudient le cadastre, contactent les propriétaires et finissent par en convaincre un ou deux de leur louer un bout de friche. Aujourd’hui, une cinquantaine d’hectares sont replantés à Seyssuel par une vingtaine de producteurs. Les jeunes suivent. C’est reparti ! Ensemble, avec les Vins de Vienne, ils ont 10 hectares et chacun pour soi une petite parcelle. Trois cuvées sont produites : une en blanc, du Viognier sur schiste, qui s’appelle Taburnum ; et deux en rouge, une de garde issue de l’assemblage des meilleures parcelles baptisée Sotanum et une plus générique, sur le fruit, Heluicum.

Classement en vue

Classé aujourd’hui IGP Collines Rhodaniennes, le vignoble de Seyssuel est en instance de classement en Côtes du Rhône, première étape vers le classement en cru. Les trois compères ont d’ailleurs retrouvé les traces d’une enquête faite par l’Isère pour classer Seyssuel en Côte-Rôtie puis, plus tard, en Saint-Joseph. Comme il n’y avait plus de vignes, la démarche était restée lettre morte. « Dans tous les livres de l’histoire du vin, Seyssuel, c’est la porte de la Vallée du Rhône. On rigolait en se disant ils vont être obligés de déplacer la porte… Nous avons pris un risque : autant nous étions confiant sur le potentiel du terroir, autant côté clientèle, tout était à créer. Mais par contre, on se disait que si ça marchait, on allait forcément laisser une trace dans l’histoire ».