NOVEMBRE 2019
Rendue célèbre dans le monde entier par sa bouteille légendaire siglée Père Anselme, cette entreprise familiale et indépendante de Châteauneuf-du-Pape, créée en 1931, exporte aujourd’hui dans plus de 90 pays sur les cinq continents. Elle entend bien continuer son développement en jouant à la fois sur son esprit pionnier et son esprit de famille
J’ai en face de moi une bouteille étrange, poudrée de brun, légèrement torsadée, habillée d’une étiquette type « parchemin »… la célèbre Fiole du Pape de la Maison Brotte, le châteauneuf-du-pape sans doute le plus populaire au monde. Une bouteille signée Charles Brotte qui, en 1931, à une époque où les vins de la Vallée du Rhône étaient le plus souvent vendus en vrac à des négociants bourguignons, a monté sa propre affaire et commencé à faire de la mise en bouteilles. Puis, lui qui avait fait une école de commerce à Marseille, a imaginé cette Fiole si particulière pour tenter de s’imposer sur les marchés. On dit qu’il avait été inspiré par le mouvement sauvage du cep de vigne tourmenté par le mistral... C’était en 1952. Le succès n’a pas été immédiat mais il est devenu phénoménal. Avec aussi sa petite sœur, une Fiole similaire lancée en 2010, contenant du côtes-du-rhône dans les trois couleurs. Le cadeau idéal pour des occasions particulières me dis-je…
Pour tenter de comprendre cette succes story qui dure encore, j’ai voulu passer non pas de l’autre côté du miroir, mais derrière cette Fiole pour savoir ce qui s’y cachait… Et j’ai découvert une famille attachante, les Brotte, 4ème et 5ème génération si l’on tient compte des premières souches familiales châteauneuvoises de 1880 avec Anselme Armenier (pour le Père Anselme) et Edouard Amoureux (pour le vignoble).
LA SAGA DU PERE ANSELME
La rencontre a lieu dans les bureaux du caveau de vente situé en plein cœur de Châteauneuf-du-Pape. Un caveau rendu célèbre par son musée du vin, créé en 1970, qui accueille bon an mal an quelque 20 000 visiteurs. Il y a aussi sur un autre site un chai pour la vinification et l’élevage… Me voici donc face à Laurent, petit-fils de Charles, le fondateur de la maison ; Christine, son épouse ainsi que Thibault et Benoît, deux de leurs enfants. Manque à l’appel la fille cadette, Jeanne, qui a curieusement choisi de faire des études de droit. Avec eux, je tente de démêler les fils de cette histoire familiale…
« C’est la bouteille de Dom Pérignon qui a donné à mon grand-père l’idée de cette fiole, à une époque où la bouteille syndicale n’existait pas… souligne Laurent Brotte, qui dirige l’entreprise depuis 20 ans maintenant, son père Jean-Pierre étant toujours aux commandes du conseil de surveillance. Au départ, ces bouteilles étaient soufflées à la main et n’étaient pas toutes les mêmes… certains goulots n’étaient même pas droits ! Mais très vite, un moule a été fabriqué et la bouteille a été produite de manière industrielle ».
Par la suite me raconte-t-il, son père Jean-Pierre, véritable commis voyageur, s’est mis en tête d’ouvrir de nouveaux marchés en France et à l’étranger et cette bouteille l’a bien aidé semble-t-il. « Son idée, c’était d’aller voir des clients et de leur dire : venez directement dans la région de production pour travailler vos vins plutôt que de passer par la Bourgogne ». Bingo ! La Fiole du Pape s’est imposée et pas seulement à cause de son look particulier. Car si le contenant est important, le contenu l’est tout autant ! C’est pourquoi, pour assurer une qualité constante au produit, Charles Brotte, toujours inspiré par la Champagne, avait décidé de ne pas millésimer son châteauneuf-du-pape. Père Anselme est un vin qui, dans un style classique, offre donc avec régularité une jolie palette de saveurs en jouant avec l'âge des millésimes et la qualité des cépages : grenache, syrah, mourvèdre, cinsault.
UNE MAISON, DEUX SIGNATURES
Mais la Maison Brotte, ce n’est pas que le Père Anselme. Il y a aussi l’autre famille, celle des vins Brotte, la signature de toutes les étiquettes des trois propriétés que l’entreprise possède dans la vallée du Rhône : le domaine Barville, sur la partie ouest de Châteauneuf-du-Pape ; le domaine Grosset à Cairanne ; et le château de Bord sur Laudun, des vins qui expriment la quintessence de leurs terroirs.
L’approche est tout aussi poussée dans la gamme des Essentiels construite, elle, avec l’apport du négoce. « Ce qui nous permet de diffuser des volumes beaucoup plus importants et de coller au marché en termes de rapport qualité-prix », précise Laurent Brotte.
Même philosophie avec la gamme des Signatures qui déborde cette fois sur d’autres appellations en Vallée du Rhône notamment (Condrieu, Côte Rôtie, Gigondas par exemple) mais également en Languedoc. Il y a aussi un côtes-du-rhône bio, afin de répondre à une demande du groupe RFD Rothchild France Distribution qui depuis un an représente la Maison Brotte sur la France.
« Mais, depuis 2014, tous nos vins sont labellisés Terra Vitis, un label environnement français de référence qui impose une approche raisonnée, respectueuse de la nature, de la vigne au vin ainsi qu'au sein de l'entreprise ».
L’ESPRIT DE FAMILLE
Une entreprise en pleine forme donc qui emploie une quarantaine de personnes, la plupart depuis fort longtemps.
Mais la plus grosse satisfaction pour Laurent Brotte, c’est d’avoir vu arriver tout dernièrement dans l’entreprise ses deux fils : Thibault d’abord, qui s’occupe plus du commerce et du marketing. Il a été ainsi, dans un premier temps, ambassadeur de la maison sur l’ensemble des marchés avant de se concentrer sur l’Asie. Il chapeaute aussi la grande distribution en France et gère en partie l’activité du caveau.
Benoît ensuite, le petit frère qui est arrivé plus récemment, son BTS viti-œno en poche. « J’ai intégré la partie technique et renforcé la partie négoce avec ma mère, dit-il. Mon boulot ? Trouver de nouveaux partenariats dans nos appellations, que ce soit en achat vrac ou raisin ». Il voudrait développer une nouvelle appellation au sein de la gamme des Essentiels. C’est lui aussi qui vinifie tous les vins, en collaboration avec les œnologues de la maison.
« A terme, on aimerait que Benoît reprenne quelques clients, pour qu’il ait une approche commerciale de la société et qu’il connaisse la problématique des commerciaux, indique Thibault. Et que moi j’ai un rôle plus ou moins important dans la partie technique ».
« Les deux se complètent, ils ont toujours été dans les vignes depuis l’âge de 14 ans » souligne non sans fierté la maman, Christine, qui pour sa part a intégré l’entreprise il y a une quinzaine d’années en prenant en charge la partie amont : vinification, élevage, négoce sans oublier la partie production. « Evidemment, dit-elle, je suis épaulée un peu partout parce que je ne peux pas tout gérer ».
« L’essentiel chez nous, c’est de préserver l’esprit de famille et de garder l’âme de l’entreprise malgré notre fort développement, martèle avec douceur Laurent Brotte. Même si les générations passent, nous avons toujours le même objectif, celui de la transmission. Avec Benoît et Thibault, nous allons travailler ensemble ; ils vont recueillir ce que moi-même j’ai appris de mon père et ils vont suivre je pense les mêmes traces. Nous évoluons par rapport aux techniques, par rapport aux marchés, mais l’idée, c’est de poursuivre en restant maître de ce que l’on a ». Voilà me dis-je une philosophie qui sait combiner tradition, modernité et succès commercial... presqu’une référence.
Jean
Calabrese - Pour le Vigneron - juin_2019