DECEMBRE 2020
A l’origine simple distributeur de vin dans la région lyonnaise et autour de Valence, la plus ancienne et seule maison de négoce de Condrieu fait aujourd’hui figure d’orfèvre en matière de crus de la Vallée du Rhône nord.
L’origine de la Maison Denuzière remonte à 1876, année de naissance de la société des « Vins Paret » du nom de son fondateur Joanny Paret. Qui s’était mis dans la tête de livrer du vin de la vallée du Rhône aux nombreux cafés et bistrots se situant dans un rayon de 25 km autour de Condrieu, là où il était basé. Equipé d’un attelage de chevaux, le voilà donc parti à la conquête de la capitale des Gaules et de ses fameux bouchons. Avec succès… Jusqu’en 1940, année où Pierre Denuzière, son beau-fils, reprend l’entreprise et la baptise « Vins Denuzière ». Qui deviendra par la suite la maison J. Denuzière, le J étant l’initiale des prénoms de ses deux fils, Jean et Joseph qui, à ses côtés, accélèrent la cadence en mettant au point entre Lyon et Valence un énorme circuit de distribution de vins en vrac et en bouteilles.
Si cette activité perdure, elle n’est plus la marque de fabrique de la maison, plus connue aujourd’hui pour produire de manière artisanale tous les grands crus de la Vallée du Rhône nord. Un peu à la bourguignonne pourrait-on dire. Car entretemps (au début des années 2000), J. Denuzière est passée sous la coupe de la Famille Picard, basée au château de Chassagne-Montrachet, qui possède à ce jour quelque 135 hectares de vignes en Bourgogne sur plus de 40 appellations et à travers 5 domaines… Sans oublier donc la Maison Denuzière, presque un confetti dans ce prestigieux empire, mais un confetti qui a gardé son identité, son histoire, son héritage et son indépendance et qui s’est forgé sa propre notoriété.
Une Bourguignonne aux manettes.
« Aujourd’hui, nous achetons toujours du raisin et du vin pour élaborer nos propres cuvées mais nous sommes aussi propriétaires-récoltants, souligne avec un brin de fierté Caroline Moro, qui fait allusion au fait que la Maison Denuzière est aujourd’hui propriétaire de vignes à Cornas et Condrieu (un hectare dans chacune des appellations acquis il y a une dizaine d’années). Cette jeune femme manage depuis 2014 l’entreprise avec Samuel Montgermont qui dirige aussi les Grandes Serres à Châteauneuf-du-Pape, une autre propriété de la famille Picard.
Originaire de Bourgogne, c’est pourtant à Bordeaux que Caroline Moro a fait ses études d’agronomie. Puis elle est allée se promener comme elle dit à Sancerre, en Suisse, en Espagne, dans le sud de la Vallée du Rhône, dans le Languedoc... Son dernier poste avant d’arriver à Condrieu, c’était dans les Côtes de Provence : 5 ans chez les Maîtres Vignerons de la presqu’île de Saint-Tropez, une union de domaines et de caves qui ont leur vignoble respectif, qui vinifient et font leurs élevages séparément mais qui ont en commun l’outil de conditionnement et de commercialisation.
« C’est toute la différence avec mon nouveau poste, dit-elle, car ici, c’est moi qui vinifie ». Une nouvelle expérience qu’elle a prise à bras le corps dès son arrivée, elle qui était jusque-là plus vigne que vin ! Avec toute l’équipe de la cave (une quinzaine de personnes), elle s’est ainsi efforcée de mettre en place une approche parcelle par parcelle sur les vignes en terrasses, en petites quantités. Le résultat, ce sont des micro-cuvées exceptionnelles qui font la renommée de la maison.
Les terroirs et leurs spécificités.
Elle qui ne connaissait pas particulièrement le Rhône septentrional – tout en ayant connaissance de la renommée de certains vignerons de la région – s’est empressée de séparer les parcelles et de vinifier sur des volumes beaucoup plus petits pour aller identifier ce qui était bon, ce qui était grand terroir. « Il y avait de grosses cuves pour vinifier. Je les ai séparées en plein de petits lots. Un peu comme une dînette parfois ! Mon hectare de Cornas par exemple, je le divise en plusieurs petites cuvées qui correspondent aux différentes chaillées (terrasses) sur lesquelles les vignes sont plantées. Et je travaille beaucoup sur les vendanges entières car je n’érafle pas quand on rentre les raisins ». Ce qui permet d’avoir des fermentations et des extractions plus douces.
Mais la révolution ne s’est pas faite en un jour. Il a fallu d’abord identifier là où ça pouvait être très bon, là où il y avait plus de finesse, plus de structure… « Et au fur et à mesure, nous avons adapté les itinéraires techniques en fonction de ce que l’on connaissait du potentiel du raisin ». Ce qui donne des cuvées confidentielles qui sont parfois assemblées avant d’être mises en bouteilles. Pour le Côte Rôtie par exemple, les lieux-dits sont vinifiés séparément et élevés pendant 12, 14 ou 16 mois. Puis assemblés ou pas. Le Cornas de la parcelle est lui toujours assemblé. « Typiquement, Cornas, c’est une appellation sur laquelle j’avais des a priori. Je voyais ça un peu austère, massif… Mais en fait, pas du tout : c’est un vin qui a une fraîcheur qui peut être incroyable et qui a opéré ces dernières années un virage extraordinaire ».
Une scientifique qui fonctionne à l’intuition
« Même si je suis une vraie scientifique, je bosse beaucoup à l’intuition » affirme encore Caroline Moro qui semble avoir fait sienne la philosophie d’Henri Jayer, le vigneron légendaire de Vosne-Romanée (encore un Bourguignon !), qui disait qu’il fallait connaître l’œnologie pour apprendre à ne pas s’en servir ! Dans les vins Denuzière, c’est un peu ça. « Il faut aller révéler le terroir et garder cette finesse et cette fraicheur que l’on a dans le vin. Qui peuvent s’exprimer de façons différentes suivant les expositions des parcelles, de la date des vendanges que l’on a choisies, de l’envie de travailler sur des vins très extraits ou des vins plutôt frais… ». Même intuition en ce qui concerne le bio : « Nous ne sommes pas certifiés mais nous faisons attention à tout. Je dis que nous suivons les règles d’une agriculture qui réfléchit ».
Cet enracinement dans le vignoble à Cornas et Condrieu est complété par des contrats raisins qui permettent à la Maison Denuzière de vinifier et d’élever dans ses chais, toujours dans le même esprit, une sélection de crus de la Vallée du Rhône nord : Côte Rôtie, Saint-Joseph, Saint-Péray, Crozes Hermitage et Hermitage… 800 bouteilles par an seulement pour cette dernière appellation sur une production totale de 200 000 cols environ !
Sans oublier un côtes-du-rhône qui fait la part belle à la syrah. Produit en partenariat avec certains domaines de la Drôme et de l’Ardèche qui vinifient eux-mêmes leurs raisins, il affirme sa typicité septentrionale en laissant peu de place au grenache qui n’y est pas majoritaire, contrairement à la Vallée du Rhône méridionale. Ce qui donne un vin assez frais et épicé, élevé en partie sous bois avec un petit côté vanillé dans les arômes : « Un côtes-du-rhône qui sert pour des personnes qui ont un petit budget à découvrir la syrah avant d’aller sur les crus ».
Jean Calabrese
REPERES
Maison J. Denuzière.- 73 Rue Nationale à Condrieu
Directeur général : Samuel Montgermont ; adjointe de direction, directrice technique : Caroline Moro.
Les marques : J. Denuzière (pour les crus et le côtes-du-rhône) ; Cave de la Visitation.
Contact : 04 74 59 50 33 / www.jdenuziere.fr