Interview de Samuel Mongermont - Grandes Serres

FEVRIER 2021


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Ce que certains n’auraient jamais pu imaginer, Samuel Montgermont l’a fait : transposer le concept de clos bourguignon à Châteauneuf-du-Pape, aux Grandes Serres !

Samuel Montgermont, Directeur Général de la Maison Grandes Serres à Châteauneuf du Pape, après d’autres chantiers comme celui du partenariat avec la Cave de Cairanne, s’est plongé dans cette nouvelle aventure sans complexe. Depuis que Michel et Gabriel Picard, à la tête de la prestigieuse société familiale Picard, maison bourguignonne implantée à Chassagne-Montrachet, lui ont confié le soin de développer le “pôle Rhône” de leur groupe viticole, Samuel Montgermont fait feu de tout bois. L’ordre de mission date de 2010. Aujourd’hui, cette maison a atteint sa maturité. Dans un périmètre que le DG avait défini au départ : être un spécialiste de la Vallée du Rhône méridionale avec un travail privilégié dans ce qu’il appelle le triangle d’or : Châteauneuf-du-Pape, Gigondas, Cairanne. « C’est notre bassin d’activités, souligne-t-il. Notre identité géographique. Je n’ai jamais souhaité que Grandes Serres soit une maison à tout faire… exception faite du Ventoux où j’ai des amis et qui me tient à cœur en tant que cycliste ». Il l’a d’ailleurs grimpé 17 fois l’année dernière !

Le pari gagné de Cairanne

Lorsque Samuel Montgermont a quitté le Château La Gardine pour prendre la direction des Grandes Serres, c’était la plus petite entité de la famille Picard. « Avant tout, il fallait bâtir un socle » affirme-t-il.  Ce qu’il a fait patiemment et avec opiniâtreté. Car, en bon Breton, il a de la suite dans les idées. D’où une série d’investissements et de partenariats, le plus important étant celui conclu fin 2013 avec la cave coopérative de Cairanne sous le coup, à l’époque, d’un plan de redressement drastique. Mise à disposition de la cuverie, acquisition de la chaîne d’embouteillage, gestion de la marque GMS (grandes et moyennes surfaces) Victor Delauze…

« Pas mal de gens disaient qu’on ne pouvait pas marier un négociant et une coopérative. Aujourd’hui, sept ans après, nous nous entendons toujours parfaitement bien.  Pour une raison simple : nous avons respecté le savoir-faire de chacun ». La cave, emmenée par Denis Crespo, s’est positionnée sur le secteur traditionnel avec ses propres marques et son réseau export ; le négociant-vinificateur, s’est plus orienté sur la grande distribution et le grand export… « C’est bien un site de mutualisation en ce qui concerne la production, la vinification, le stockage et le conditionnement. Pour le reste, nous avons respecté les volontés de chacun. Avec une totale transparence concernant les prix que je pratique sur leur vrac ». Un vrac auquel les Grandes Serres ont un accès prioritaire, particulièrement sur les vins de Cairanne, la cave vinifiant quasiment 5 000 hl dans cette appellation, un peu plus aujourd’hui suite à la fusion avec la cave Cécilia-Chantecôtes de Sainte-Cécile les Vignes. « Les coopérateurs vivent en autonomie ; et moi je vinifie mes propres côtes-du-rhône et mes villages, des gigondas aussi, avec les raisins que j’achète chez d’autres vignerons». Un partenariat sans contrat : « Je n’en voulais pas. Je suis juriste de formation, spécialisé en droit viticole. Et je dis toujours que dans un contrat, ce que l’on programme, c’est la sortie. D’ici là, nous vivons parfaitement bien, dans le respect des uns et des autres ».

L’aventure du Clos Saint Patrice

En 2014 débutent les négociations – concrétisées en 2015 par un partenariat en bonne et due forme - avec la famille Julian, Jérôme le fils, et Guy, le père aujourd’hui décédé. Les Julian, propriétaires de 28 ha en Châteauneuf-du-Pape et d’une douzaine d’ha en Côtes du Rhône, vendaient toute leur production en vrac. Ils cherchaient un nouveau partenaire…

« Je découvre leurs vins et je tombe scotché devant deux pièces que Guy Julian appelle Saint Patrice et qui proviennent d’une parcelle d’1,8 hectare rachetée en 2009. Plantée de vieux grenaches et de mourvèdre, elle est posée au cœur du terroir historique, sur l’avenue Impériale à Châteauneuf du Pape. Les autres vins qu’il me proposait étaient aussi très bons - mais ils n’avaient pas ce grain et cette finesse  exceptionnels… ».

Samuel Montgermont décide alors d’entamer des recherches sur cette parcelle. Il va demander à M. Julian son acte notarié, consulter non seulement le cadastre mais aussi plusieurs ouvrages du XVIIIe et du XIXe siècle, dont l’annuaire du Vaucluse de 1838, qui classe cette fameuse parcelle au rang de « grand cru » ! Il retrouve les propriétaires historiques, la famille Jourdan. « Marcel Guigal, quand il était gamin, se souvient qu’il venait déguster dans cette cave ». Il n’est pas le seul à connaître l’existence de ce cru : Michel Bettane, fin historien lui aussi, avait écrit en 2015 un édito dans son magasine En Magnum intitulé « Où est passé le Clos Saint Patrice ? » ; et James Joyce, le célèbre poète et écrivain irlandais, qui ne jurait que par le vin blanc, avait pour habitude de servir un seul rouge à ses invités, ce même Clos Saint Patrice… C’était dans les années 30.

Le responsable des Grandes Serres convainc donc les Julian de faire revivre ce cru historique. Ainsi, parallèlement au domaine Saint Patrice qui produit quelque 25 000 bouteilles, ils font renaitre le Clos Saint Patrice : 6 000 bouteilles les meilleures années vendues au prix de 110 euros. Pour cela, il a fallu déjouer toutes les tracasseries administratives pour créer un monopole, le premier dans la Vallée du Rhône si on excepte Château Grillet : une entité à part entière à l’intérieur de l’appellation Châteauneuf-du-Pape, cadastrée et délimitée par un mur de pierres. « Mon idée, et je ne m’en cache pas, c’est de hiérarchiser l’appellation » souligne le DG des Grandes Serres qui considère que sur les 3 200 ha du vignoble de Châteauneuf-du-Pape, tous les vins ne sont pas au même niveau. « Et comme on ne peut pas parler de grand cru de Châteauneuf-du-Pape, ou même de premier cru, la case monopole est une case subliminale pour cette notion. Un peu comme en Bourgogne ».

Jean Calabrese

Samuel Montgermont au Clos Saint Patrice. La bâtisse d’origine, avec vue imprenable sur la fameuse parcelle et sur Châteauneuf-du-Pape, a été entièrement restaurée. Elle abritera bientôt Saint Patrice « Le lieu » ou Musique, Art Contemporain, Gastronomie et Dégustation seront à l’honneur.

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Dix ans pour bâtir un socle solide

Au cours de la décennie écoulée, Samuel Montgermont s’est donc employé à bâtir un socle solide pour les différentes entités qu’il supervise. La Maison Grandes Serres d’abord qui est aujourd’hui  devenue un négociant vinificateur à part entière avec une production annuelle d’environ 7 millions de bouteilles. Des côtes-du-rhône villages au Châteauneuf de Pape en passant par les Cairannes, Gigondas et Vacqueyras.

Le site de Cairanne ensuite qui, avec l’arrivée de Chantecôtes et l’activité des Grandes Serres pourrait devenir rapidement un grand pôle de vinification bio de la Vallée du Rhône méridionale. La somme des trois représente environ 45 000 hl, une production d’ores et déjà en grande partie bio et sans sulfites pour les rouges.

Le domaine Saint Patrice déjà évoqué. Le partenariat avec la famille Varenne à Gigondas (près de 15 ha de vignobles) où se situe aussi une extension des Grandes Serres, une cave  « recherche et développement » où l’on fait des essais de produits autour des notions de terroirs, de cépages, d’élevage de vins en Amphore sans sulfites, de clairette à Bulle … .

Et la Maison Denuzière*enfin à Condrieu, une autre propriété de la famille Picard. « Avec Caroline Moro, qui supervise le site, nous lui avons redonné une stratégie commerciale et un vrai positionnement Vallée du Rhône septentrionale». «Aujourd’hui, Caroline s’exprime pleinement dans cette maison et elle est reconnue à la fois à l’international et dans la presse française. J.Denuzière jouit désormais d’une très belle notoriété… »

On l’aura compris : avec tous ses projets, Samuel Montgermont n’a pas le temps de chômer « Cela fait dix ans maintenant que je dirige les Grandes Serres. J’ai pris le temps de construire un socle solide et si j’ai pu le faire, c’est uniquement grâce à la confiance des quelque 120 vignerons qui adhèrent à mes projets. Une vraie fidélisation… sans aucun contrat ! »

* Voir Le Vigneron du mois de décembre 2020.

REPERES
Les Grandes Serres, négociant- vinificateur en vin, 430 Chemin de l’Islon Saint Luc à Châteauneuf-du-Pape.

Implantations : Châteauneuf-du-Pape (siège), Gigondas (Grandes Serres la Boutique), Cairanne (les Grandes Serres) et Condrieu (Maison Denuzière).

Président : Gabriel Picard ; directeur général : Samuel Montgermont ;  adjointe de direction : Caroline Moro

Contact : 04 90 83 72 22 / http://www.saintpatrice.com