MARRENON - Jean-Louis Piton
Marrenon dépoussiéré
Le jour où on leur a dit que leurs vins étaient « poussiéreux », la pilule a été dure à avaler. Mais le conseil d’administration de l’union de coopératives de la Tour d’Aigues, dans le Luberon, a décidé d’écouter l’impétrant et de tout changer…
De succès en gamelle
Quand Amédée Ginies crée l’union de coopératives Marrenon en 1965, il n’a pas une vision mais deux. Première intuition : comprendre avant d’autres que la grande distribution va connaitre un essor important et que la place est bonne à prendre. Deuxième coup de maître, croire au potentiel de la Syrah sur les terroirs d’altitude du Luberon et du Ventoux, quand tout autour, c’est la grenache qui triomphe. Le succès est immédiat. L’entreprise, florissante, est citée en exemple comme moteur de l’économie locale. L’homme croyait dans la capacité de ces terroirs à donner des vins de bien meilleure qualité que
les vins de table ordinaires travaillés jusque-là. L’histoire lui donne raison.
L’accident de la fin des années 90 coupe net ce bel élan et prend tout le monde au dépourvu comme partout en France. Se reposant sur les lauriers origine France et le système des AOC, endormi par des croissances en volume et en valeur dans un marché mondial haussier, la viticulture française n’a pas su voir ou voulu voir que ses concurrents allaient 2 à 3 fois plus vite. Et pas que du nouveau monde, mais aussi nos voisins Italiens ou Espagnols. Le réveil a été brutal.
Prise de pouvoirJean-Louis Piton est élu à la présidence de l’union de coopératives en 2000. Son programme pour redresser l’affaire tient en deux points : monter en gamme et obtenir le transfert des pouvoirs. « Nous ne pouvions plus offrir de meilleurs rapports qualité/prix avec nos AOC que l’appellation volumique régionale, explique t-il. Nous devions, même si on ne l’est pas au sens hiérarchique INAO du terme, devenir l’équivalent de crus comme Vacqueyras, Gigondas, Châteauneuf… ». Pour y arriver, il ne suffit pas de le décréter. Il faut déjà connaître 4 500 hectares de vignoble aussi bien qu’un domaine de 10.
Trier le potentiel viticole de chaque parcelle a nécessité du temps et de l’argent. Observations, dégustations, expérimentations : une masse de données pharaoniques à emmagasiner et analyser. Deuxième difficulté et pas des moindres : arriver à faire accepter à des vignerons qui ont toujours tout décidé par eux-mêmes que, désormais, c’est Marrenon qui définit à leur place le comportement en vignoble, la date des récoltes, les jours d’apport… Les ruptures ont été très dures et certains ont préféré quitter le navire.
Une histoire d’hommesSi certains partent, d’autres arrivent. En particulier un nouveau directeur général, Philippe Tolleret venu de Skalli. Jean-Louis Piton a choisi un homme de produit. Pas un gestionnaire ou un commercial. Mais un palais capable de déceler, dans la dégustation de vins « cabossés », le potentiel des raisins qui le composent. Un homme qui a aussi, par son parcours, accumulé une précieuse bibliothèque gustative des produits qui ont du succès sur les marchés visés. Un tour des caves plus tard, l’homme rend son verdict, présente le style de vin qu’il aimerait faire et donne ses recommandations. Jean-Louis Piton lui dit « banco ! ».
Le temps des récoltesAujourd’hui, si tout est encore loin d’être gagné, il y a des signes qui ne trompent pas. Le résultat de 10 ans de travail. Les critiques comme Wine Advocate ou Wine Spectator, qui rechignaient à noter Marrenon le font désormais sans problème. Quand on présente un vin 1€ au-dessus du marché, il faut que la signature soit suffisamment connue pour que le consommateur accepte de payer plus cher. Il y a 10 ans, la signature Marrenon, c’est Jean-Louis qui le dit, « ne valait pas un kopeck ». Aujourd’hui, elle commence à exister. « C’est à partir des produits à succès que l’on construit la marque ombrelle », explique-t-il. Avec des histoires parfois surprenantes. Avec son nom, Amountanage, transhumance en
Provençal, on ne peut plus imprononçable et incompréhensible à l’étranger, ce vin bio se vend comme des petits pains sur les marchés asiatiques. Et si l’hyper local était devenu global ?