Portrait du mois d'octobre
DELAS - Jacques Grange
Le Bourguignon Jacques Grange, directeur technique de Delas Frères, a trouvé à Tain
l’Hermitage la combinaison parfaite entre cépage, sols et climat pour faire les vins qu’il aime. Si vous deviez définir en 3/4 adjectifs les qualités de la Syrah en Rhône nord ?
« Puissante, colorée, élégante et, le plus difficile à obtenir, fine. Le plus grand challenge, sur des grands terroirs, c’est d’être sur des vins extrêmement fins, extrêmement précis. On a des anthocyanes, on a des tanins, on a des arômes. Il faut éviter les altérations.
Et nous avons aussi et ce n’est pas la moindre des choses, une climatologie propice à la culture de la vigne. A une culture propre, durable, bio ou pas. Nous avons le mistral, l’ensoleillement, sans les excès de chaleur que l’on aurait plus au sud ou dans le pourtour méditerranéen. Nous sommes à la limite septentrionale d’une culture mono cépage. Et c’est véritablement un choix d’installation pour moi. Cela correspond à une latitude précise où je me sens bien parce que je peux faire ce que j’aime faire et ce que j’ai la prétention de savoir faire. »
« Si j’en crois quelques critiques à qui je présente les produits, l’approche bourguignonne est assez sensible et elle s’est faite au fil du temps, un peu en réaction aux phénomènes de mode. Il y a 15 ou 20 ans, la tendance était à l’extraction à outrance, à l’élevage bois plus ou moins bien maitrisé, avec ses excès et notamment des effets bois neuf trop marqués. Mais depuis ces millésimes et au regard des capacités de la Syrah à toujours produire au minimum ce que l’on souhaite, la tendance a été de calmer les ardeurs du cépage et, au contraire, de retrouver cette finesse, cette élégance, cette caractéristique
terroir dès l’origine. On vise l’équilibre millésime après millésime, sans excès, avec droiture. Notre objectif premier, c’est la franchise dans les vins. »
« Le plus difficile, c’est d’obtenir la finesse de la structure tanique. Sans cette finesse, on tombe dans une sorte de caricature, de vin puissant, tanique, dont on soupçonne qu’il sera de longue garde, mais dont, au final, on vérifie peu de fois que cette garde sera bénéfique. Cette Syrah, ailleurs que sur les granits, peut prendre les tanins et cette structure un peu grossière. Avec la densité, la grossièreté disparait ou semble disparaitre et au vieillissement, elle réapparait. Ce souci de fraîcheur et de tension, certains aiment à dire que c’est de la minéralité. Je pense en effet qu’il y a un rapprochement entre la roche mère et la structure aromatique des produits. C’est quelque chose que l’on ressent en dégustant les baies au moment des vendanges, mais on le ressent aussi énormément en marchant dans les vignobles. »
« Pour moi, Hermitage fait partie des grands vins de la planète. C’est à l’égal des grands crus de Bourgogne, de Bordeaux, des grands toscans… Cela fait vraiment partie des très grands dans les deux couleurs, un phénomène assez rare. Il y a des vins qui s’imposent par leur personnalité. Il ne s’agit pas de les comprendre, ni de les aimer ou de ne pas les aimer. Le vin parle et on se sent tout petit. On aime et puis on admire. Pour moi, c’est à ça que l’on reconnait un très grand terroir et un très grand vin. Il n’y a pas de long discours à faire. Le vin est là, il est présent et il met en extase n’importe quel dégustateur un
minimum éclairé. »
Oui, même si cela ne se voit pas… Le chantier est long et nous avions priorisé un certain nombre de choses. Première étape : dépoussiérer, réveiller, faire en sorte d’exprimer tout le potentiel. Pour cela, on a investi dans des locaux, des outils et un process technologique qui nous permet d’arriver à nos objectifs. Même s’il y a encore sûrement des progrès à faire, c’est fait en grande partie. Comme on aime bien faire les choses lentement pour les valider dans le temps, cela a pris 20 ans. Mais cela fait 3/4 ans que l’on est sur un plateau en termes de notoriété, de reconnaissance, de développement. Ce qui nous manque, c’est cette dimension de pédagogie, de rêve, d’accueil. On a acquis un lieu en plein centre de
Tain L’Hermitage. Un lieu chargé d’histoire, qui respire le vin, pour lequel on entame une phase de travaux très importants qui ont pour objectif de crever ce plafond contre lequel on bute depuis 3 ans. C’est une maison de famille, donc on pourra accueillir chez nous nos client, nos distributeurs, les gens qui nous intéressent parce que ce sont de vrais amateurs de vin ; l’ensemble de ces épicuriens sont en demande, en attente. Nous allons aussi y vinifier tout le haut du panier de notre production, de nos vignobles et de nos apports raisin. Il y aura enfin une dimension visite, caveau. Cela va nous occuper jusqu’à mi 2018 pour pouvoir vinifier la vendange 2018 dans ce lieu. Nous investissons 150% du chiffre
d’affaires. Un pari osé. Le signe d’un engament important et durable de gens qui ne sont pas de la région*
et qui y croient. Il y a une confiance dans l’avenir qui portera nécessairement ses fruits dans les 5 à 10 ans qui viennent ».
* Delas Frères appartient au groupe Louis Roederer qui possède aussi les champagnes Deutz.
