DECEMBRE 2023
Rien ne semblait prédestiner Pierre Deltin, médecin biologiste marseillais, à devenir viticulteur si ce n’est sa passion pour la vigne, le vin et les cépages… Aujourd’hui, c’est sa fille Aude, journaliste dans une précédente vie professionnelle, qui est aux commandes du domaine et de la société de négoce qui gère l’ensemble des activités.
« La belle endormie » : l’expression choisie par Pierre Deltin pour décrire la propriété viticole qu’il venait de découvrir en 2007 à Jonquières dans le Vaucluse, résume bien la situation. Entouré par un vignoble de 150 ha, le Château Malijay, patrimoine viticole historique de la Vallée du Rhône parfois malmené par ses propriétaires successifs, avait tout pour séduire ce médecin biologiste marseillais, passionné de vignes, de vin et de cépages. Qui rêvait de produire ses propres cuvées…
C’est décidé : il allait réveiller « la belle endormie » ! Encore en activité, il va ainsi gérer pendant près de 6 ans le domaine depuis Marseille… se rendant compte au fil du temps des difficultés inhérentes à ce genre d’exercice !
« Mon père a toujours voulu à terme s'occuper d'un domaine viticole, souligne sa fille Aude aujourd’hui aux commandes. Et il a eu un véritable coup de cœur pour le château Malijay et s'est lancé dans cette aventure alors que rien ne l’y prédestinait. Il était juste très intéressé par le sujet du vin, par le produit en lui-même ».
Or, comme chacun le sait, quand on a une idée en tête, on fonce parfois la tête baissée en occultant certains détails. Et c’est ainsi qu’une fois le château Malijay dans son escarcelle vint la prise de conscience de ce qu'était véritablement le travail viti-vinicole. « Et là, du coup, mon père a compris que ce serait très difficile d'y arriver sans que quelqu'un de la famille ne s'investisse pour lui prêter main forte ».
D’autant qu’il s'était vite rendu compte que le vignoble avait besoin d'une grande restructuration, la politique de production plutôt intensive menée sur les vignes jusque-là n’étant plus de mise… « Quand il a compris que le domaine nécessitait des investissements conséquents, que le travail allait s’intensifier et qu’il fallait plus de bras, c'est à ce moment-là qu'il m'a proposé de le rejoindre dans cette aventure ». Elle, la cadette de la famille, diplômée de Sciences Po, qui exerçait le métier de journaliste… à Paris !
« J'aimais bien ce que je faisais mais j'étais convaincue qu'un jour je retournerai dans le sud pour me rapprocher de ma famille ». Quand son père lui fait cette proposition en 2013, elle se dit que c'était peut-être le moment de franchir le pas.
N'était-elle pas effrayée par l'ampleur de la tâche? « Au départ, je ne me suis pas vraiment rendu compte. Mais c'est quand j'ai commencé à travailler ici que j'ai compris ce à quoi j'allais être confrontée ». Il lui aura ainsi fallu toute une période incompressible pour lister les problématiques du domaine, faire les choix nécessaires et trouver les bonnes personnes pour l'accompagner.
Dix ans plus tard, le pari semble en passe d’être gagné avec 140ha convertis en Agriculture biologique. Aude Deltin passe de 95% de vente de vin en vrac à 45%, au profit de la vente bouteilles, essentiellement destinée à l’export, aux CHR et ventes en ligne.
Dans l’intervalle, l’acquisition en 2018 d’une belle propriété à Gigondas, 11 ha de vignes dont une partie sur l'appellation Vacqueyras ; et, en parallèle, 17 ha en AOP Ventoux dont la famille Deltin a récupéré la gestion.
Par ailleurs, Aude Deltin s’investie dans des projets plus vertueux pour l’environnement : les bouteilles en cartons, l’agroforesterie, les ombrières solaires, l’installation de ruches…
Prochain objectif : développer l’œnotourisme.
Ce désir de développement a amené la création de la Société des vins de Malijay qui est un outil permettant de distribuer tous les vins. A la fois producteur et négociant (la partie négoce démarre pour l’instant en douceur), la famille Deltin vend majoritairement ce qu'elle produit en attendant d'éventuelles nouvelles appellations en négoce pour compléter la gamme.
"Quand je suis arrivée à Malijay, j'ai compris qu'il allait falloir que je sois très patiente pour voir le fruit de mon travail ; 10 ans après, je commence vraiment à prendre du plaisir".
Jean Calabrese