Interview de PIERRE AMADIEU

SEPTEMBRE 2015


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Pierre Amadieu, le négoce façon vigneron

La célèbre Maison de Gigondas, qui a bâti sa réputation sur son vignoble, entend bien conserver sa fibre familiale et artisanale

Sur sa carte de visite, une seule et simple indication en dessous de son nom : vigneron. Pierre Amadieu est pourtant à la tête d’une entreprise qui s’apparente clairement au négoce, la Maison Pierre Amadieu, du nom de ce fameux aïeul qui, en 1929, eut l’idée – fait inédit à l’époque - de mettre son Gigondas en bouteilles. Entre le grand-père et le petit-fils, âgé aujourd’hui de 48 ans, toute une saga familiale qui a permis aux Amadieu (« aimé de Dieu ») de se forger une belle réputation dans la Vallée du Rhône et bien au-delà. Avec, comme socle, leur domaine du même nom – 7 ha de vignes à l’origine, 137 aujourd’hui – un des plus vieux de Gigondas, qui représente à lui seul plus de 10 % de la superficie de l’appellation.

Pour en arriver là, il a fallu travailler la terre bien sûr, apprendre à acheter des raisins, vinifier avec de plus en plus d’expertise, s’initier à la commercialisation des vins et faire preuve d’initiative et d’imagination à une époque où quasiment toute la production hormis quelques spots historiques comme Châteauneuf-du-Pape se vendait en vrac.

Bien avant la cave coop

« Mon grand-père est devenu très vite négociant vinificateur, après s’être associé à une agence commerciale d’Avignon, l’agence Ginoux. Ses 7 ha ne lui suffisaient pas et il a donc commencé à acheter des raisins, ce qui ne posait pas trop de problèmes à l’époque car il n’y avait pas de cave coopérative à Gigondas ».

La cave coop ne sera créée qu’en 1956. Une date qui coïncide avec la mise en production des nouvelles terres que le grand-père avait acquises quatre ans auparavant, celles de deux domaines historiquement liés, Grand Romane et La Machotte : 400 ha de bois et de polyculture dans un étroit vallon tout en haut des dentelles de Montmirail. Et tout en continuant à acheter des raisins, il avait aussitôt commencé à planter 65 ha supplémentaires. Sur les meilleurs coteaux, ceux exposés au sud, avec les cépages de l’époque : grenache et mourvèdre pour le rouge, clairette pour le blanc et counoise pour le rosé.

Pierre Amadieu, devenu vinificateur, lui qui avait été tenté par une carrière de musicien de bal dans sa jeunesse, savait aussi jouer au bâtisseur. En 1945, il construisit une cave de vinification et une cave souterraine creusée sur deux niveaux en sous-sols. Parallèlement, la cave de la ferme de la Machotte était équipée de foudres de chêne, encore utilisés aujourd'hui.

« Et puis, dans les années 70 comme il manquait toujours du Gigondas, on s’est remis à planter. Dans les coteaux ouest et nord cette fois. On a introduit du cinsault pour faire des rosés et de la syrah qui arrivait en force dans le Rhône sud ». Son père Jean-Pierre et son oncle Claude avaient déjà rejoint l’entreprise familiale.

Des crus, toujours plus de crus

« A l’époque, comme aujourd’hui d’ailleurs, un négociant ne pouvait pas avoir que du Gigondas quand il visitait un restaurant ou un caviste. Il fallait d’autres références. Nous avons continué sur ce créneau ». Côtes-du-rhône régional pour la restauration et l’export ; et des crus, uniquement de la Vallée du Rhône : Vacqueyras, Châteauneuf-du-Pape rouge, Vinsobres dans le sud ; Crozes Hermitage et Saint-Joseph dans le nord. « Et ensuite, sur de plus petits volumes, nous allons gérer des appellations plus fragiles ou un peu plus haut de gamme que nous achetons directement en bouteilles (la cuvée du vigneron avec notre étiquette) : muscat de Beaumes-de-Venise, Tavel, Côte rôtie, Condrieu et Cornas ». Avec une constante sur ces ventes en bouteilles : 50% viennent de la production ; 50% du négoce avec des achats de vins bruts excepté pour Cairanne, le dernier né de la gamme, où Pierre Amadieu a redémarré récemment des achats de raisins.

« En terme de volume, je suis un très petit négociant [environ 600 000 bouteilles à l’année] mais nous n’avons pas pour ambition d’attaquer les très gros marchés type grandes surfaces, cibles privilégiées du négoce. En fait, nous sommes peut-être au même niveau que certains producteurs qui aujourd’hui se sont mis négociants et qui développent de gros volumes sur quelques produits génériques ».

D’où ce constat pour Pierre Amadieu : « L’opposition producteur-négociant aujourd’hui, c’est vraiment une querelle stupide, qui heureusement s’estompe dans la Vallée du Rhône, tous les négociants ou presque étant devenus aussi propriétaires pour associer leur image à leur terroir. Cette idée « du négociant, c’est le méchant qui me prend ma marge » est devenue obsolète même si des tensions peuvent apparaître au moment des crises viticoles ». Qui ne concernent souvent que le Côtes-du-Rhône régional…

« Sur le Gigondas, grâce aux efforts qui ont été faits en matière de qualité de production et de vinification, les bouteilles ont pris 40 % en dix ans, mais ce n’est pas un problème car elles ont trouvé une nouvelle clientèle. Pour les vins génériques par contre, il ne faut pas oublier qu’il se vend beaucoup plus de bouteilles à moins de 5 euros que plus et que les négociants des autres régions peuvent très bien faire des marques à bas coût pour remplir les linéaires de vin »

                                                                                                                   Jean CALABRESE